Vous êtes de plus en plus nombreuses à avoir envie de coudre des vêtements qui sortent des basiques et qui vous permettent d'exprimer un style. Vous plébiscitez les patrons "dp studio" L'occasion pour nous de mettre en avant son créateur, Dominique Pellen. Rencontre.
Bonjour Dominique racontez nous un peu votre parcours
Je souhaitais être artiste peintre, c’est ma première direction vers la création. Mes parents n'étaient pas d'accord. Mon père travaillait à l’arsenal de Brest, pour eux c’était génial que j’en sois salarié. J’ai été embauché là-bas à 15 ans. J’ai demandé à aller là où il y avait le plus de dessin industriel et j’ai suivi un apprentissage de charpentier tôlier. Ce n’était pas du tout mon univers mais j’ai tenu bon et j’avais cette échappatoire de la peinture. Parfois on me demandait si je pouvais dessiner des affiches pour les journées portes ouvertes par exemple. Ensuite de l’atelier je suis passé aux bureaux mais ce n’était pas mon univers. Dans l’enceinte de l’arsenal il y avait un club où je prenais des cours de peinture et quand le professeur est parti en cours d’année je l’ai remplacé bénévolement. J'avais une élève qui aimait la mode et tous les deux on s'est motivés. On a commencé à dessiner des croquis de mode dans les années 86. Un jour j'ai décidé d'aller dans les maisons de couture pour leur montrer ces dessins.
C'était le début d'un changement de vie ?
C'était l'époque où Christian Lacroix était directeur artistique de la maison Jean Patou. Le directeur m’a reçu pour me rencontrer et découvrir qui j'étais. Quelque part il a voulu me soutenir et m’expliquer ce qu’était le métier. Et ensuite il m’a fait rencontrer la directrice de la chambre syndicale de la couture parisienne. Elle a accepté que je vienne étudier en formation continue. En face de ma table il y avait la meilleure du groupe et j’ai appris beaucoup de chose. Puis je me suis formé au modélisme, à la coupe à plat, au dessin de mode. En ajoutant mon premier stage ça me faisait sept mois de formation et la directrice a accepté que je rentre en deuxième année de cours de stylisme modélisme. Deux années extraordinaires…
Comment vous a-t-on remarqué ?
J’ai été lauréat du concours Christian Dior. Chaque école avait sélectionné une dizaine d’élèves et ça m’a ouvert un peu les portes chez Dior. Après Dior j'ai cherché du travail pour continuer à vivre à Paris. J’avais d’abord eu un congé formation de l’arsenal puis un congé sans solde, mais là j'étais arrivé au bout. Ce n'était pas simple pour mes parents.
Ces débuts prometteurs vous ont-ils permis de trouver facilement du travail dans la couture ?
Une société bretonne - Grégory Pat - cherchait un styliste. Quand ils ont vu que j’étais breton ils m’ont engagé. A la chambre syndicale c’était très couture, tout était fait à la main. Grégory Pat c’était du prêt à porter, une entreprise familiale avec les enfants, le père et la mère. Cette dame m’a appris beaucoup de choses. On allait sur les salons, j’ai fait toutes les collections avec elle. C’était très enrichissant. Ça m’a fait comprendre que dans la mode il y a des contraintes de budget, des choses carrées, cadrées. Alors qu’à la chambre syndicale on était loin de la réalité. J'y suis resté deux ans. Parallèlement j'ai participé à un concours et j'ai gagné un prix qui donnait droit à un stand sur un salon professionnel. Grégory Pat n'a pas trop apprécié et j'ai dû redoubler de travail pour que ça marche.
C'est comme ça que vous avez créé votre première structure ?
Sur ce salon j'ai eu un premier client. Un japonais. J'ai monté ma société et un an après des financiers japonais m'ont soutenu financièrement. Ça a duré un peu plus de quatre ans. Jusqu'à ce qu'une importante crise financière en Asie me contraigne à arrêter cette activité. Ensuite j'ai été directeur de création pour une société de couture parisienne pendant plusieurs années. Puis je suis parti à Shangaï, mais c'était un peu compliqué pour moi. J'ai ensuite été embauché comme styliste modéliste pour une entreprise du Sentier. Malheureusement ça ne correspondait pas à mon univers. Venant du luxe j'avais du mal à rentrer dans un processus uniquement commercial de fast fashion.
C'est à ce moment là que vous revenez à la chambre syndicale ?
Oui, en y allant un jour avec un ami je suis tombé sur ma professeure de coupe à plat. Celle-ci allait partir à la retraite et elle m'a demandé si je voulais bien prendre sa place. J'ai commencé à faire des remplacements en dessin et ça s'est bien passé. Quand ma professeure de coupe à plat est définitivement partie je l'ai remplacée. Ce n'était pas si simple que ça au début car la coupe à plat ne bénéficie que de quatre heures d'enseignement tous les quinze jours, contre deux jours par semaine pour le moulage.
C'est en enseignant à la chambre syndicale de la couture que vous avez créé votre méthode de coupe à plat ?
Mes élèves me demandaient de les conseiller pour l'achat de livres sur la coupe à plat. Il n’y avait rien. A force d’avoir ces réflexions j’ai pensé qu’il y avait quelque chose à faire. J’ai un peu analysé le marché, il y avait très peu de méthodes. L'écriture de ces trois livres sur la coupe à plat m'a demandé cinq années de travail. Je l'ai fait en auto-édition car j'ai un bon réseau et j'ai bien fait car il y a une réelle demande. On est souvent "numéro un" dans les librairies qui proposent ce genre de livres techniques sur la couture.
La création de votre marque de patrons dp studio est le prolongement de ces livres ?
Mon associé Shibo Li était mon élève. Lui-même avait fait des stages chez Dior ou chez Margiela. Nous avons eu envie de développer autre chose, en parallèle de la méthode. Moi j’ai l’expérience de concevoir une collection, j’ai senti qu’il y avait cette émergence du produit « patron de couture » et j’ai eu le sentiment qu’il y avait quelque chose de plus humain. Ça me paraissait important d’être associé à quelqu'un de plus jeune. Il apporte un regard neuf sur cet univers mode. On avait un passé de gestion de collection, l'habitude de réfléchir à une tendance, on s’est dit qu’on allait mettre en place des collections et on a monté dp studio . On s'est lancé au moment du salon "création et savoir-faire" 2016 et on a été un peu submergé par la demande.
Nous on le voit en boutique, vos patrons sortent de l'ordinaire et permettent aux femmes de coudre des vêtements tendance et bien coupés…
On nous a catalogué au-dessus des autres en termes de collection et d’image, et du coup, ça a très bien démarré. L'année dernière les gens découvraient dp studio un peu par hasard, on était un peu le phénomène du salon. Cette année on a anticipé la demande et on fait 40% de plus.
Quelle était votre ambition lorsque vous avez créé cette collection très pointue de patrons de couture ?
Mon rêve est de réunir l'univers de la mode et du do it yourself (DIY). Aujourd'hui en plus des livres sur la coupe à plat, on vend aussi des extraits du livre, les patrons de base et le patron de couture c'est à dire le produit fini. On peut si on le souhaite acheter seulement les fiches techniques à tout petit prix pour apprendre à coudre une manche gaine ou une manche gigot par exemple. On peut aussi acheter le corps d'un corsage et pas la manche.
Quels sont les avantages de la coupe à plat ?
Ce sont deux métiers liés. Le moulage a un coût supérieur, c'est plus "luxe", plus "créateur". La coupe à plat représente plus de 90% du marché. On travaille à plat. C'est un peu plus compliqué pour celles et ceux qui n'ont pas la vision 2D par rapport à la 3D.
Vos trois livres passent en revue tout le vestiaire féminin ?
Oui, sauf la lingerie. Et sur les patrons, des modèles pour hommes viendront s'ajouter à la collection d'ici quelques temps mais pas tout de suite. Cet été on sortira une collection "bis" un peu plus accessible d'un point de vue technique.
Vous semblez très attentifs aux commentaires de vos clientes et vous êtes très présents sur les réseaux sociaux…
On aime beaucoup lire les retours de celles qui cousent nos patrons. On se sent bienvenus car il y a une tranche de clientes qui maîtrisent bien la couture et se font plaisir. On est dans la tendance, on taille bien. Un jour, une américaine m'a écrit pour me dire que mon 48 était tip-top. On connaît bien les proportions alors ce genre de commentaire fait plaisir. Et quand certaines clientes ont surestimé leur capacité en couture on essaye de les aider. Ce n'est pas toujours simple à expliquer par des dessins. Certaines préfèrent nous questionner avant de faire une bêtise. On essaye d'être vigilant et d'avoir un rapport assez direct et rapide.
Et cette saison quels sont les modèles qui marchent le mieux.
Le manteau écharpe marche très fort et la cape aussi. Je pense que l'on a ouvert une brèche et que l'on permet un rapprochement mode.
Crédit photos : dp studio©